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COVID-19 et Distanciation Sociale : Temps Subjectif et Régulation Socio-cognitives des Comportements à Risque

Publié le 27 juillet 2021 Mis à jour le 13 septembre 2021

Rencontre avec Sylvie DROIT-VOLET, professeure des universités, et Pascal HUGUET, directeur de recherche CNRS, Laboratoire de Psychologie Sociale et Cognitive (LAPSCO, UMR 6024 – CNRS/UCA), coordinateurs du projet.

En matière de santé publique, plusieurs mesures non pharmaceutiques et plus ou moins contraignantes (port du masque, confinement, fermeture des écoles et des lieux de travail) visent la réduction des contacts physiques entre les personnes porteuses d'une infection et celles non infectées afin de freiner la transmission du Coronavirus (Covid-19). La question des comportements individuels et collectifs et de leurs déterminants est donc clairement posée dans la lutte contre la propagation du Covid-19.


Rencontre publiée dans le onzième numéro du Lab, journal de la recherche de l'UCA.
 

La psychologie a montré depuis longtemps que l’individu ne réagit pas directement à son environnement mais à la représentation qu’il s’en forge au fil du temps en fonction de ses interactions sociales, de ses groupes et catégories d’appartenance, et plus généralement encore des normes et valeurs en vigueur dans son milieu social. Les conduites à risque, c’est-à-dire les risques que l’individu prend pour lui et pour les autres, n’échappent pas à cette règle. Ces conduites traduisent moins l’irrationalité des individus concernés que l’influence d’un ensemble complexe de facteurs situés à différents niveaux : au niveau « intrapersonnel » (affects, fragilités psychologiques, personnalité), interpersonnel (comparaison aux autres, réseaux sociaux), situationnel (statut social, conditions de vie, isolement social), voire positionnel et idéologique (position occupée par l’individu dans la structure sociale et idéologies afférentes). Les fausses informations (fake news) en vigueur dans tel ou tel groupe social s’agissant de l’utilité et de la légitimité des recommandations gouvernementales vis-à-vis du Covid-19 font partie de ces facteurs susceptibles d’expliquer les conduites à risque. L’objectif de notre étude vise précisément à une meilleure compréhension des conduites à risque pour la santé dans toute sa complexité.

Notre enquête réalisée auprès de 2 échantillons de plus de 1 000 personnes nous a permis de suivre (durant les 3 périodes de confinement) leurs conditions de vie, leurs états émotionnels et de santé mentale (ex. dépression, anxiété, stress post-traumatique), mais aussi leurs croyances sur la crise sanitaire et le virus lui- même, et leurs conduites à risque, le tout en relation avec des données socio-démographiques (catégories socio-professionnelles, statut marital, nombre d’enfants à charge, etc.). Nos premiers résultats montrent que le 1er confinement, en perturbant nos rythmes de vie habituels, a provoqué une distorsion importante du temps psychologique, avec le sentiment que le temps s’écoule au ralenti. Après plus d'un an, le temps psychologique n'a pas repris son cours normal. Ce ralentissement s’explique par un sentiment d’ennui persistant caractéristique de l’installation à long-terme de symptômes dépressifs dans la population, autre effet majeur du confinement.

Le problème est que cette humeur dépressive ne s’avère pas épisodique. Elle persiste de façon significative chez beaucoup de personnes. Ceci révèle leurs difficultés à rebondir de façon positive, certaines souffrant d’un véritable « stress post-traumatique ». L’isolement social joue un rôle important dans cette dépression. D’un point de vue psychosocial, le confinement est problématique car il contrevient à un besoin fondamental d’affiliation sociale chez les êtres humains. Or, ce besoin d'affiliation augmente de façon significative avec la peur du Covid-19. L’ironie de l’histoire est que plus ce besoin social est élevé et moins les individus respectent le confinement et les gestes barrières. Ceci conduit à un solide cercle vicieux dans la mesure où cette violation des mesures sanitaires facilite la propagation du virus.

Enfin, nous avons aussi montré que le non-respect des comportements de distanciation sociale est plus important chez les personnes qui adhérent aux fake news et aux théories complotistes sur la pandémie. Et cette proportion ne change pas dans le temps, d’une enquête à l’autre (presque 20%). Elle s’avère totalement insensible à toutes les informations délivrées dans les journaux télévisés visant à déconstruire les fausses informations sur la crise sanitaire. Ceci est peut-être aussi lié aux difficultés rencontrées par les scientifiques eux- mêmes pour dissocier le vrai du faux, face à la complexité de cette crise sanitaire mondiale.



Ce projet est financé par l'Agence Nationale de la Recherche au titre de l'appel à projets spécifique Flash COVID-19.