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Rencontre avec Karine RANCE, responsable scientifique du projet "Correspondances d'exilés français (1789-1816)"

Publié le 19 mai 2020 Mis à jour le 19 mai 2020

Karine RANCE est enseignante-chercheuse au Centre d’Histoire, Espaces et Cultures (CHEC – EA 1001 / UCA) et responsable du projet "Correspondances d'exilés français (1789-1816) : Dire l’intime en exil. Migrations forcées et échanges épistolaires en période de transition politique".

« Dire l’intime en exil. Migrations forcées et échanges épistolaires en période de transition politique (1789-1816) » est un projet de recherche issu du programme Emergence 2019, porté par I-Site CAP 20-25. Il analyse les correspondances d’exilés français, en considérant les lettres comme le lieu d’expression d’une intimité construite par son auteur, et comme la trace des amitiés politiques et des liens infra-politiques qui se sont tissés à travers l’Europe et l’Atlantique durant cette période.

Rencontre publiée dans le septième numéro du Lab, journal de la recherche de l'UCA.
 

Comment est né ce projet ? Pouvez vous nous le présenter ?

Le projet est né de la lecture d’une fabuleuse correspondance qui se trouve dans les collections de la Bibliothèque du patrimoine : 386 lettres du comte de Montlosier adressées au préfet de Genève Claude-Ignace Brugière de Barante (chargé par Napoléon de surveiller Germaine de Staël) et à son fils Prosper de Barante, sous-préfet puis préfet, ami de Guizot et homme de lettres. Ceci couvre près de 40 ans de la vie du comte de Montlosier, de l’époque de son exil en Angleterre à l’époque révolutionnaire, jusqu’à la Monarchie de Juillet. C’est une correspondance assez libre entre trois hommes liés d’amitié, qui évoquent la politique, la géologie (Montlosier, qui est Auvergnat, se passionne pour les volcans), les évènements familiaux et littéraires, les ambitions professionnelles. Ce corpus, d’une extrême richesse, permet de mesurer l’importance des liens infra-politiques dans cette période de transition politique.

De là est née l’idée d’analyser les correspondances d’exilés français entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle. On peut considérer les lettres comme le lieu de l’articulation de l’intime et du social, et comme la trace d’une topographie réticulaire des amitiés politiques et des liens infra-politiques qui se nouent en exil, à travers l’Europe et l’Atlantique. Dans le contexte d’une reconfiguration politique, littéraire et scientifique européenne, ces hommes et ces femmes contraints à quitter la France (émigrés de l’époque révolutionnaire, opposants à Bonaparte, Conventionnels bannis après le retour des Bourbons) ont contribué à l’internationalisation de la dynamique révolutionnaire. On voit, à travers leur correspondance intime, se nouer les réseaux qui leur permettent non seulement de rendre supportable l’exil, mais de préparer leur retour en France.

Le projet implique le CHEC dont je relève, le Centre de Recherches sur les Littératures et la Sociopoétique (CELIS) avec Paola ROMAN, maître de conférences, et la Maison des Sciences de l’Homme de Clermont-Ferrand avec Aurelia VASILE, ingénieure d’étude.
 

Que vous apporte le programme Emergence ?

Le projet Émergence permet de financer des déplacements dans les archives en France et à l’étranger, et des participations à des colloques. Il donne aussi les moyens de recruter un ingénieur d’étude pour traiter les données et les cartographier. Il ouvre la possibilité, cette année, de lancer cette nouvelle recherche et de déposer des dossiers de candidatures à des programmes types ANR, ERC et Partenariat Hubert Curien.
 

Ce programme soutient des projets exploratoires susceptibles de mener à des découvertes potentiellement déterminantes. Quelles sont vos attentes, vos objectifs ?
 

L’analyse des correspondances permet d’interroger la manière dont l’acteur élabore et exprime ses choix. Dans ce mouvement de va-et-vient entre l’espace privé et l’espace public, entre le domestique et le politique, ces lettres donnent à voir une intimité en prise avec l’histoire. L’objectif est de donner sens aux processus à l’œuvre dans l’élaboration d’un choix politique, au-delà du girouettisme souvent dénoncé en période de transition politique. Ces lettres dessinent des « espaces de sociabilité épistolaire » dont il nous appartiendra de voir dans quelle mesure ils empruntent toujours les « routes des Lumières », ou si les guerres, le contrôle policier de l’Etat français et les dispositifs d’autorisation de séjour mis en place par les Etats européens les ont modifiées. Il s’agit de montrer comment ces hommes et ces femmes, depuis leur exil, et à travers leurs réseaux transnationaux, ont construit l’Europe de demain.

 

Le projet "Dire l’intime en exil. Migrations forcées et échanges épistolaires en période de transition politique (1789-1816)" est cofinancé par l'I-SITE CAP 20-25 dans le cadre du programme Emergence.