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Le retable, clé de lecture de la société dans une ville italienne à l’aube de la Renaissance ?

Publié le 1 juillet 2024 Mis à jour le 1 juillet 2024

Un texte de la Minute Recherche par Daniele Rivoletti (CHEC, unité propre de recherche UCA).

Le retable est l’image placée sur l’autel d’une église chrétienne. Il remplit une fonction religieuse mais peut également répondre au désir d’autopromotion d’un commanditaire aisé ou encore véhiculer des valeurs identitaires d’un groupe social plus ou moins large. De ce fait, il est l’objet central dans l’Italie de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance
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La ville de Sienne, en Italie, a été au Moyen Âge un des principaux centres de création et d'exportation du retable intégralement peint, qui s’est progressivement répandu à une échelle géographique très vaste. Or, dans cette même ville un type particulier de retable, dit “composite”, à savoir une image peinte dont le panneau central abrite une sculpture apportant une dimension supplémentaire à l’œuvre, se diffuse entre XVe et XVIe siècle. La nature hybride de ces œuvres est ouvertement en rupture avec le retable entièrement peint : de quelle manière un nouveau modèle parvient-il à s’implanter dans un centre de production affirmé et à concurrencer des typologies traditionnelles largement dominantes ?
Une longue recherche dans les archives de Sienne, Florence et Rome, a souligné que la clé pour comprendre le succès de la typologie réside dans l'analyse des commanditaires et des fonctions de ces œuvres.

Dans une phase précoce (vers 1400-1450), les retables « composites » ont principalement alimenté le désir d'autopromotion sociale des guildes, à savoir des associations économiques, et des confréries de la ville : placés dans les chapelles et dans les oratoires de ces groupes, ils glorifiaient leur saint protecteur par la statue disposée au milieu du retable. Par la suite, de 1450 à 1510 environ, le retable « composite » a principalement été mis au service des ordres religieux de la ville, notamment les augustins, les dominicains et les franciscains. Ceux-ci en ont fait un instrument de promotion du culte des saints, en particulier de ceux récemment canonisés : Bernardin et Catherine de Sienne, Nicolas de Tolentino ou encore Vincent Ferrer.

Ces retables sont une source remarquable pour l’histoire sociale. Sienne avait élu Marie au rang de patronne civique et de protectrice de la liberté républicaine : dès la fin du XIIIe siècle le retable peint traditionnel avait par conséquent mis à l’honneur la Vierge à l’Enfant. Or, les retables composites des XVe-XVIe siècles ont remplacé l’image de Marie, allusive aux valeurs collectives de la Commune, par celle du saint protecteur d’un groupe circonscrit : cette modification est révélatrice des changements d’une grande ville à l’aube de la Renaissance, marquée par une fragmentation de plus en plus forte de la société urbaine.